Hazanout
La Victoire: le miracle de la musique

Fin août 2011 un grave incendie s’est propagé en fin d’après-midi dans des bureaux du 4ème étage de la synagogue, dans un espace contigu à notre magnifique orgue. Fort heureusement les pompiers, alertés par notre gardien, ont pu intervenir très rapidement limitant les dégâts à ces quelques bureaux dont les planchers ont été néanmoins totalement consumés, jusqu’à une cinquantaine de centimètres du local des archives musicales.
Dans ces archives sont conservés presque deux siècles d’histoire musicale du Consistoire et de la synagogue :
• deux siècles de partitions originales composées ou adaptées spécialement pour les grandes occasions du culte synagogal.
• deux siècles de partitions souvent annotées par les compositeurs ou les Chefs de la Musique de l’époque,
• deux siècles de programmes musicaux des principales cérémonies organisées dans la synagogue à l’occasion de son inauguration, de l’intronisation des grands Rabbins, des cérémonies officielles ou même des concerts donnés plus récemment.
Nous avons alors décidé d’assurer la protection de ce trésor et d’en confier le classement puis l’archivage digital à des spécialistes, le Centre Français des Musiques Juives qui dispose à la fois de locaux sécurisés et d’outils de numérisation performants.
C’est là où le miracle de la musique intervient.

Les musicologues chargés du classement retrouvèrent, en cette occasion, un exemplaire du programme du grand concert donné à la Victoire le 19 janvier 1937 lors de la création en France du Service Sacré d’Ernest Bloch, interprété par les officiants Henry Kahn et Joseph Blumberg, accompagnés par les Concerts Colonne et la Chorale de la Victoire dirigée par Léon Algazi.
Or, ce même programme venait d’être planifié par les Concerts Colonne à la Victoire, avec en soliste Laurent Naouri pour le 10 mai 2012, les organisateurs et la Commission Administrative n’ayant pas souvenir de cette première programmation de 1937.Merveilleuse occurrence, donc. Mais à y bien réfléchir il n’y a aucun hasard même 75 ans après.

La liturgie et la musique sont, en effet, indissociables du culte de la Victoire ; en introduction à un enregistrement des Chants de la Synagogue interprétés par Adolphe Attia en 1998, le Grand Rabbin Samuel Sirat rappelait un enseignement du Talmud de Babylone, (traité Berakhot 6A) :
Aba Binyamin disait : « la prière de l’orant n’est entendue que dans la synagogue », comme il est dit : « Daigne le Seigneur écouter la mélodie et la prière », ce qui signifie que c’est dans le lieu où sont chantées les mélodies synagoguales que réside la prière la plus pure.
Ce texte talmudique se réfère explicitement à la prière d’inauguration par le Roi Salomon du Temple de Jérusalem.
Depuis 1830 la liturgie tient une place prépondérante dans l’ordonnancement des offices consistoriaux. En 1833 Jacques Offenbach n’a que 14 ans quand il est envoyé à Paris par son père Hazan de la synagogue de Cologne pour y approfondir ses études au Conservatoire. Il est engagé par le Consistoire de Paris pour diriger la liturgie consistoriale en composant les accompagnements musicaux et en dirigeant les chœurs de la première synagogue de la rue N.D. de Nazareth. C’est son professeur au Conservatoire Jacques Halevy qui le guide dans ses premières compositions pour la synagogue. Rappelons ici que Jacques Halevy, compositeur d’opéras fut le beau-père de Ludovic Halevy, son cousin et célèbre librettiste, et de Georges Bizet.

Après la démission de Jacques Offenbach, Jacques Halevy recruta en 1843 l’héritier d’une lignée de Hazanim allemands Samuel Naumbourg avec pour mission de réorganiser la liturgie synagogale en fusionnant les rites comtadins, portugais et rhénans. Naumbourg produisit d’abord les œuvres du compositeur baroque Salomon Rossi en collaboration avec Vincent d’Indy et il commença à publier toute une compilation de mélodies synagoguales d’inspiration rhénane et bavaroise.

Samuel David, autre élève de Halévy prit en 1872 la suite de la direction de la Musique des « Temples Consistoriaux », lors de la construction de la Grande Synagogue de La Victoire, avec pour mission officielle d’unifier les différents répertoires liturgiques. Bien que quelques années plus tard cet objectif fut abandonné avec l’ouverture de la synagogue portugaise de la rue Buffaut, Samuel David a bâti toute l’architecture de la liturgie consistoriale autour de ces différentes influences rhénane et italienne.
Léon Algazi écrivait en 1953 que Samuel David s’est appliqué à rénover tous les chants traditionnels en retrouvant leur forme primitive. Le Kol Nidré, chanté tous les ans à Kippour, illustre parfaitement ce propos.
Ces années marquent le début de la tradition musicale perpétuée encore aujourd’hui à la synagogue de la Victoire. Avant même son inauguration les plus grands compositeurs du Second Empire avaient ainsi collaboré à la création ou à la transcription du répertoire aujourd’hui encore illustré lors des offices de la Grande Synagogue. Les grands airs d’opéras d’inspiration biblique de Mozart à Mendelssohn en passant par Verdi ont également été transcrits à cette époque pour l’orgue et les chœurs mixtes de la Synagogue.

Au même titre que l’architecture des grandes synagogues manifestait le souci des dirigeants communautaires de montrer, à l’époque, la plus parfaite intégration de la communauté juive à la culture nationale, au même titre la solennité des offices participait de ce même souci.
Au XX ème siècle les grands compositeurs comme Darius Milhaud et Ernest Bloch ont également apporté leur contribution à la liturgie synagogale, mais c’est surtout autour du répertoire créé par Samuel Naumbourg, Samuel David et leur homologue Berlinois Louis Lewandowsky que se perpétue encore aujourd’hui la liturgie de la Grande Synagogue.

A partir des années 1970 certains aménagements ont été apportés, en particulier l’abandon de l’orgue pour les offices de Chabbat et des fêtes ainsi que la transcription des principales mélodies pour chœurs exclusivement masculins ; mais l’essentiel des traditions musicales a été maintenu et en permanence enrichi par les chefs de Chœur Léon Algazi, Benhamou et aujourd’hui Jean-Marc Thoron, ainsi que par les deux grands Cantor qui ont successivement officié depuis la fin de la seconde guerre mondiale, Chalom Berlinski et Adolphe Attia, et par leurs successeurs.

Le rite de la Grande synagogue pratiqué tous les jours de la semaine, le chabbat et les grandes fêtes reste depuis 1875 alsacien-rhénan même si la musique est le fruit de l’héritage lyrique composite décrit ci-dessus. De plus au sein de notre synagogue deux oratoires maintiennent également les rites égyptiens et tunisiens pour le chabbat et les fêtes.

Premier ministre officiant de la Grande synagogue de la Victoire : M. Aaron HAYOUN

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Ministre officiant honoraire : M. Adolphe ATTIA

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